Mise à profit des bienfaits de la zoothérapie
Par Abigail Pugh
Hiver 2004-2005, Vol 8 nº2
Des professionnels et des chercheurs du domaine de la santé mentale confirment ce que les propriétaires d’un animal domestique savent depuis toujours : les liens avec les animaux sont bénéfiques à bien des niveaux du point de vue psychosocial et pour la santé mentale. Ces bienfaits sont de plus en plus exploités par les programmes de mise en œuvre de la zoothérapie, surtout dans le cadre de la santé mentale.
D’après la Delta Society, organisme situé à Bellevue dans l’État de Washington qui prône cette méthode, la zoothérapie est une intervention axée sur des objectifs dans laquelle un animal répondant à des critères précis devient partie intégrante d’un traitement dirigé par un professionnel de la santé ayant des connaissances spécialisées. La zoothérapie se distingue ainsi d’autres activités moins structurées et plus récréatives dans lesquelles une personne et un animal se retrouvent ensemble, par exemple, l’équitation. L’objectif de la zoothérapie en santé mentale est d’améliorer la capacité d’interaction verbale et d’attention, la relaxation et l’estime de soi, et de réduire l’angoisse, la dépression et la solitude.
L’Hôpital Douglas, un établissement psychiatrique situé à Verdun, au Québec, dispose d’un programme qui met en avant les bienfaits potentiels de la zoothérapie. Créé par l’ergothérapeute Raymond Plouffe en 1986, c’est l’un des rares programmes de zoothérapie professionnels canadiens. Il fait appel à des animaux qui font partie intégrante d’une thérapie psychodynamique dirigée par un personnel ayant reçu une formation professionnelle en comportement animalier et humain.
Raymond Plouffe a commencé par travailler avec des chiens et des chats, auxquels sont venus s’ajouter, en l’espace d’un an, des lapins, des furets, des poissons, des tortues et un cacatoès nommé Rocco. Il y a aussi Harley, un porc ventru particulièrement populaire auprès des clients adolescents. « Harley diffère beaucoup d’un chien ou d’un chat, avec ses soies dures et sensibles, sa timidité et son excentricité, dit Raymond Plouffe. Les jeunes qui essaient d’affirmer leur personnalité ont des chances de graviter autour d’Harley. »
Raymond Plouffe se souvient d’une cliente longtemps victime de mauvais traitements et qui vivait en établissement depuis des années. « Le fait de travailler avec Harley l’a aidée à sortir de sa coquille, dit-il ; elle est devenue plus active en thérapie. Elle est aussi devenue plus indépendante et a aménagé cette année dans un appartement communautaire. »
Le programme a eu un énorme succès auprès de divers clients des services de santé mentale. Ainsi, certains enfants qui arrivent à l’hôpital et qui ne sont pas capables de ressentir de l’empathie font des progrès avec la zoothérapie. Les clients atteints de la maladie d’Alzheimer en retirent aussi des avantages: « Nous travaillons sur leur mémoire en faisant toujours venir le même animal à la même heure et cela amène souvent les gens à sortir d’eux-mêmes, explique Raymond Plouffe. La thérapie peut faire ressurgir des souvenirs. Une femme s’est ainsi souvenu d’un chien noir qui adorait poursuivre un traîneau. Jake, notre labrador noir, lui a rappelé ces bons moments ».
Raymond Plouffe ajoute que, durant les séances de thérapie familiale, un animal peut jouer le rôle d’un membre de la famille et susciter la discussion. « Un enfant peut dire « Un de mes frères m’embête et, aujourd’hui, je me sens un peu comme Twiggy (une petite furette) ». »
Bien que l’intégration des animaux aux traitements de maladies mentales soit documentée depuis le 18e siècle en Europe, l’idée ne s’est pas répandue en Amérique du Nord avant 1919, quand l’hôpital Elizabeth’s, à Washington, a introduit des chiens pour tenir compagnie aux patients psychiatriques. Puis les interventions animalières ont peu à peu disparu, remplacées par des innovations en pharmacothérapie. Mais elles ont refait surface dans un cadre institutionnel en 1975 : un patient du Lima State Hospital for the Criminally Insane en Ohio ayant découvert un moineau blessé, il l’a apporté dans le service où séjournaient les patients les plus déprimés et repliés sur eux-mêmes. Passant outre les règles de l’hôpital, les patients et le personnel ont pris soin de l’oiseau, améliorant en même temps le bien-être général des patients et leur capacité de communiquer. Cet hôpital, devenu l’actuel Oakwood Forensic Center, dispose à présent d’un programme de zoothérapie ; des clients des services de zoothérapie ont besoin de moitié moins de médicaments que ceux des autres services.
En dépit de ces preuves anecdotiques, les résultats sont difficiles à mesurer et à quantifier scientifiquement. Mais les travaux de recherche montrant les effets positifs de la zoothérapie augmentent. En 2004, Dre Rebecca Johnson, professeure de médecine vétérinaire et de soins infirmiers à l’Université de Missouri-Columbia, a découvert que les niveaux de sérotonine, une hormone qui aide à lutter contre la dépression, augmentent considérablement après l’interaction avec des chiens. De même, une étude publiée en 2000 dans Journal of Psychosomatic Research a montré que la zoothérapie améliore le comportement et l’humeur en stimulant la sécrétion de certaines hormones. Par ailleurs, les résultats de recherches publiés en 2001 dans American Journal of Geriatric Psychiatry indiquent que des patients schizophrènes ayant pris part à une zoothérapie affichaient une amélioration par rapport aux personnes schizophrènes d’un groupe de contrôle pour ce qui est des mesures de socialisation, d’activités quotidiennes et de bien-être général.
Pourtant, les programmes professionnels tels que celui de l’Hôpital Douglas sont rares ; la plupart des interventions animalières sont menées dans un cadre bénévole non structuré. Mais cela pourrait bien changer grâce au projet Chimo, initiative de grande envergure visant à promouvoir la zoothérapie et, comme but ultime, à l’implanter dans le système de santé canadien.
Fondé en Alberta par Dennis Anderson, alors président de l’Association canadienne pour la santé mentale, le projet Chimo, baptisé ainsi du nom de son chien, est la première initiative à bénéficier de fonds provinciaux en vue de rassembler des professionnels de la santé mentale, leurs clients et des animaux pour démontrer les bienfaits de la zoothérapie dans le domaine de la santé mentale.
« C’est déplorable que la zoothérapie ne soit pas encore bien acceptée dans la communauté médicale, ce qui réduit son utilisation pratique dans des situations concrètes », dit Dre Liana Urichuk, chercheuse qui participe au projet. Mais avec l’aide financière de l’Alberta Health Innovation Fund, des services de santé et des services à l’enfance de la province, les responsables du projet Chimo s’efforcent de légitimer cette méthode. Ainsi, sur une période de trois ans, des recherches vont être menées à l’échelle de la province quant aux applications de la zoothérapie en tant que modes de thérapie axée sur des objectifs. Les évaluations rigoureuses menées jusqu’à présent ont abouti à des résultats positifs dans tous les groupes d’âge et en particulier chez les jeunes.
Dennis Anderson espère que ce projet permettra d’instituer la zoothérapie en tant que précieux traitement d’appoint. « Notre objectif n’est pas de voir ce projet durer indéfiniment, dit-il, mais d’élaborer des prototypes permettant d’utiliser la zoothérapie pour le traitement de divers problèmes de santé mentale. Il faudra que les hôpitaux et les professionnels en fassent la demande pour qu’elle devienne une composante permanente et significative du traitement. Le projet Chimo constitue une étape importante dans cette voie. »
Pour de plus amples renseignements sur le projet Chimo, veuillez consulter le site Web.